Pourquoi j’ai mis la fleur au fusil ? Journal NATURE & PROGRES Avril 2017
Les fleurs s’ouvrent, pleines de promesses de bonheur. Elles nous informent aussi sur notre terre, son état, sa dynamique et son évolution. De simples indics ? Derrière ce dialogue, se cache le travail qu’elles effectuent sur le sol pour toujours plus de fertilité, de vie. Symbiose est bien trop pauvre, c’est une Symphonie !
Ces fleurs sont la musique de ces synergies avec les mycorhizes et microbes, ce biome du sol qui nous nourrit. « Quelle belle assiette » disait Curnonski, Prince des gastronomes, admirant le paysage du Bugey… Cette symbiose, c’est le socle de notre terroir, du Goût. Je dirai plus : cette symphonie nous met sur les pistes de notre bien-être, de notre santé. Chercher à comprendre ce dialogue symphonique avec les fleurs est la quête de l’essence même de notre plaisir. C’est aussi ce qui permet à notre équipe de repenser la nourriture des animaux, pour soigner les chevaux de course de Chantilly, les canards du Sud Ouest, les poissons ou les abeilles, des conditions d’élevage que l’homme leur impose. Le point déclencheur de cette réussite est d’associer cette biodiversité aux plantes, dans la nourriture.
Le 4 août 2015, treize universités, 22 chercheurs de sept pays différents démontrent[1] ensemble que l’ancêtre de toutes les plantes est une algue qui a conquis la planète en choisissant de s’allier et de partager son ADN, avec un champignon. Ce pas décisif de l’évolution, se fait dans l’océan, avant même de coloniser la terre ferme : cette nécessité symbiotique est déjà inscrite dans le génome de l’ancêtre de toutes les plantes. Les échantillons étudiés situent l’événement il y a environ 550 millions d’années. Désormais la définition d’une plante est un végétal associé à un champignon. Toute autre chose est une chimère.
En réalité, c’est comme si le végétal avait embauché un cuisinier : le champignon est capable de grignoter la roche comme le phosphore, décomposer les nitrites toxiques en nitrates ou rendre les métaux « comestibles ». Le mycorhize de ce champignon croît de 2 à 3cm par jour, alors qu’une racine dépasse rarement le millimètre. Il court, sans se tromper, à l’affut de nourriture et d’eau. S’il croise une nématode, il l’attrape au lasso pour l’azote de la plante. Si un sanglier écorche un arbousier, la mycorhize de l’arbuste se branchera avec celle d’une sarriette des montagnes, pour échanger cicatrisant et désinfectant… Tout cela est le commerce des microbes du sol. Nourrir la plante c’est avant tout nourrir son sol. Labourer ou asperger de la chimie du pétrole, tout cela fonctionne un temps et disparaîtra vite étouffé. Le pétrole et sa chimie fossile se colle et bloque la communication des cellules.
200 millions d’années après sa naissance, la plante invente la graine. Elle peut désormais choisir le bon moment, lieu et climat pour germer, ou bien rester en dormance et attendre. L’ADN de la graine est programmé pour répondre à des conditions particulières de l’environnement et du sol. Maintenant que l’on sait cela, un parterre de fleurs sauvages devient un langage précis sur les qualités du sol, les conditions environnementales, climatiques et leur dynamique. Eradiquer les plantes sauvages revient à casser le thermomètre.
La terre nous parle tout plein de fleurs à la bouche. Elles nous parlent du sol, le tube digestif de la terre. Tout ce qui tombe dessus est voué à y être digéré pour nourrir la vie. Nous nourrir. 90% des êtres sur terre vivent dans ces 10 à 20 cm de sol. Le ver de terre en est le super-prédateur, en haut de la pyramide. Il n’est rien sans tout le reste : en surface, ceux qui vivent avec l’air, au fond ceux qui vivent sans ; entre les deux, les microorganismes intermédiaires. Si l’on met à l’air ceux du fond, ils crèvent au soleil et si l’on enfouit ceux de la surface, ils étouffent ; restent les intermédiaires, virus, Escherichia coli et autre Staphylocoque doré, causes de nos maladies nosocomiales. Les discussions avec mon maître Théodore Monod, buttaient souvent sur la question fondamentale et insoluble, du « Mal » chez l’homme. Dans la nature c’est peut être plus simple : ce serait quelque chose qui n’est pas à sa place. Notre système digestif est composé à l’image de notre sol : dans la bouche et l’estomac les êtres qui vivent avec l’air, dans le colon les anaérobiques. Nous savons désormais que notre biome compte 10 fois plus de bactéries, 100 fois plus de virus et 10 fois plus de champignons que de cellules humaines. Chacun a sa place et il ne viendrait à personne l’idée de labourer, ou d’intervertir l’œsophage par le colon. Le fœtus animal est quasiment vierge de bactérie. Il est ensemencé à sa naissance par l’utérus, puis il se forme avec la nourriture que produit son sol : nous sommes des bouts de sol à pattes.
Dans ce dialogue avec la terre, les fleurs nous parlent du biome du sol : de son activité, qui est à la manœuvre, pourquoi… Elles nous révèlent les préoccupations du lieu et du moment, les dangers et les espoirs ; un petit monde hyper actif. L’objectif est l’évolution, la fertilité. Le sol est compacté par un troupeau qui a stationné un moment. Aussitôt les bêtes parties, voici un groupe de chardons qui lève. Ils nous disent : terre battue, phosphore bloqué, manque d’air, humide, trop de nitrites. Champignons et bactéries mangent les cailloux. Le chardon va les utiliser pour débloquer le phosphore. Les mycorhizes, Glomus ssp., Intraradices ssp. et bien d’autres, vont utiliser les espaces dégagés par sa racine qui perce et fendille la semelle compactée du sol pour permettre aux bactéries aérobies de reprendre leur place. Ils feront vite lever les graines de Rumex et de plantain à la rescousse. Il faut plus d’air dans le sol. Parmi les bactéries qui vivent avec chardons et Rumex, les Thiotrix ssp. vont rééquilibrer les aluminiums de l’argile, empêcher qu’il devienne Al(III), grand perturbateurs des liaisons électriques du sol, comme des liaisons neuronales… l’argile est un silicate d’aluminium avec 70 kg de métal par mètre cube, qui peuvent se transformer tout d’un coup en violent perturbateur de la vie. Ainsi j’ai compris que dans le sol, dans chaque équation des équilibres chimiques, le « égal » représentait en réalité une bactérie, un être vivant responsable d’un échelon de la chaine du vivant, dont l’expression est une fleur. Ici pour le fluor, le soufre et l’aluminium, il y a Thiotrix ssp. Tant que le problème persistera, le chardon sera présent et repoussera. Une fois le problème résolu, il fait ses graines et attend. On accuse les friches de propager les chardons… pourtant un chardon ne peut pas pousser, si ses conditions ne sont pas présentes. Mais surtout en poussant, une fleur sauvage remédie, se nourrit de ce qui la fait pousser.
Pour l’etnobotaniste Gérard Ducerf le sol est la peau de la terre. J’ajoute la peau et le tube digestif. Les recherches que nous menons ensemble sur le terrain, nous permettent, en étudiant le biotope et la levée de dormance des plantes, de comprendre leur impact sur le biome du sol et donc d’appréhender leur potentiel pour la santé des animaux. Sur les 350 espèces relevées dans les pâturages alpins en 1980, la biodiversité record aujourd’hui dépasse rarement les 60 espèces et plus souvent 20 à 14 espèces. Au printemps la biodiversité c’est aussi la couleur. Avant le champ était multicolore ; toujours plus de bétail et il passe au blanc, puis au jaune et enfin tout vert… la diversité des couleurs nous parlent aussi de la santé des bêtes, de leur lait. La beauté d’une prairie nous parle de la santé de ceux qui mangent ce fromage.
En botanique, l’estomac est le meilleur des professeurs. Sur nos 8000 plantes européennes, plus de 4000 sont comestibles et 1000 absolument délicieuses. Théodore Monod me disait toujours « mets sur 24 heures les 2,4millions d’années d’évolution de l’homme : matin, midi et soir, nous mangeons des plantes sauvages et tout d’un coup, à minuit moins 4, on se met à cultiver en oubliant tout le reste». A l’époque nous étions à Lucy ; depuis la découverte de Toumaï, notre genre a 8 millions d’années et le temps de l’agriculture, moins de 1mn. Homo a évolué se nourrissant de plantes sauvages. Ces fleurs nous ont aussi soigné. Il semblerait que l’on cherche à nous le faire oublier, pourtant elles sont le centre d’intérêt de la science moderne. On savait les actifs du chardon efficaces sur le foie, les maladies de dégénérescence nerveuse, au Japon un médicament à partir du chardon marie, Silybum marianum a obtenu l’AMM pour soigner le pancréas. Ils ont du enrober les pilules d’amidon, pour protéger les actifs d’être détruits par l’estomac. Tous les chardons sont comestibles excepté un, qui sert de glue au moyen orient, mais ils sont couverts de piquants… pour les manger la solution est de les cuisiner, en faire un bouillon sans bouillir pour un risotto ou une pâte. Le chardon permet aussi d’utiliser moins de viande, car c’est un exhausteur de l’umami, le goût des protéines.
Me parlant de ses souvenirs de Sarajevo, une amie réalise qu’ils ont tenu cinq ans de siège en mangeant 90 plantes sauvages. Derrière les obus, les herbes folles qui lèvent leur dormance pour réparer la terre meurtrie, s’occupent aussi de la santé des hommes en Bosnie comme en Syrie.
Comment puis-parler d’une fleur, la muse des poètes, comme d’un simple outil ? C’est sûr, elle nous nourrit, soigne, redonne l’envie de vivre en des temps troubles. Cette fleur je l’ai mise au fusil, littéralement car elle est notre lien avec les êtres du sol, la biodiversité, une arme d’une importance vitale car notre alimentation en dépend, notre santé également.
George Oxley est biologiste indépendant,
auteur de « La Fleur Au Fusil » Alternatives Gallimard.
[1] P.-M. Delaux, « Algal Ancestor of Land Plants Was Preadapted for Symbiosis », Max Planck Institute for Chemical Ecology (11 sept. 2015) / doi: 10.1073/pnas.1515426112
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La Fleur Au Fusil sort chez Alternatives Gallimard le 25 Février 2016.
Ce livre-manifeste, dévoile les infinies solutions que nous offrent les fleurs pour aborder les défis de notre nutrition, notre santé et le climat de notre planète.
Un peu d’histoire, hors des sentiers battus et l’expérience d’un biologiste qui ne cesse de se tourner vers la nature, pour nous chercher les solutions scientifiques que les plantes sauvages nous proposent pour en finir avec le catastrophisme ambiant.
George Oxley nous montre comment ces herbes folles nous informent de l’évolution de notre environnement et nous donnent les pistes pour améliorer notre santé.
Elles nous informent également sur la santé de notre sol et agissent pour protéger les microorganismes qui le composent. De la même manière, elles sont capables d’aider ceux qui composent notre propre biome, au plus profond de nos tripes.
Ainsi nous découvrons progressivement les interactions du vivant établies tout au long de l’évolution. Cette nouvelle observation à l’aune des découvertes scientifiques les plus récentes nous découvre l’importance des plantes avec lesquelles nous pouvons désormais initier progressivement un dialogue qui nous ouvre les chemins de la liberté.