Interview de George Oxley, paru dans la Dépêche de Brazzaville en Décembre 2015:
Chercheur biologiste, George Oxley a conduit une mission d’étude au Congo. Il lance une alerte sur la disparition progressive des grands arbres et des couverts qui fait passer l’humidité en dessous des 80% vitaux pour la culture des cacaoyers.
Les Dépêches de Brazzaville : Quelle importance la filière du cacao peut-elle avoir dans le développement économique d’un pays ?
Georges Oxley : La filière cacao peut soutenir le développement économique et social des populations tout comme l’action sur le climat, en préservant la biodiversité et l’humidité de la forêt. En outre, sa culture peut abriter d’autres cultures de rente ultra valorisées comme celle du poivre et de la vanille et accueillir diverses plantations – ananas, banane, mangue et autres arbres fruitiers -, des productions appropriées au commerce local et international. Le cacao est une valeur sûre qui a la capacité de fournir les moyens de développement d’écoles et d’infrastructures supplémentaires de développement. Sa culture contribue à la protection de la forêt et de la biodiversité.
LDB. Comment se présente la filière du cacao au Congo ?
GO. Le Congo a été le premier producteur de cacao africain entre 1950 et 1980, avec une production record de 2500 tonnes en 1977. La production s’est arrêtée avec la disparition de la compagnie du Cacao et du Café. Depuis 20 ans, le commerce du cacao a été libéralisé mais personne n’a repris véritablement sa commercialisation. En 2012, la Compagnie industrielle du bois a conclu avec le gouvernement congolais un protocole pour relancer le cacao dans la Sangha. L’Etat s’est engagé à financer 32 millions de plans de cacao pour replanter 30 000 ha. Trois magasins de l’an- cien Office du Cacao ont été réhabilités, 240 ha ont été plantés en 2014, 1000 étaient prévus pour 2015 à partir de cacao hybrides venant de Yaoundé et d’Abidjan. En 2013, 72 tonnes ont été vendues à Amsterdam et en 400 tonnes en 2014.
LDB. Comment créer les conditions d’une production de cacao durable au Congo ?
GO. Un cacaoyer met quatre ans pour produire et dix ans pour être au maximum. Des 2500 tonnes record de 1977, la production congolaise est passée à 841 tonnes en 1986, alors que les plantations continuaient à se développer. Les arbres en marge des zones fortement déboisées souffrent et disparaissent rapidement. Le changement climatique menace les cacaoyers. La disparition progressive des grands arbres et des couverts fait passer l’humidité en dessous des 80% vitaux pour des cacaoyers. Le développement de la culture du cacao doit s’accompagner d’une sensibilisation à la protection de la biodiversité des grands arbres de couvert et à la vigilance contre l’abattage sauvage.
Le cacao permet les culture vivrière comme le manioc. S’il est cultivé dans des zones plus sèches, il devient la proie du virus de la mosaïque, en dessous de 80% d’humidité comme le cacao. Cette technique de culture diversifiée, à tous les étages de la forêt inspirée de la tradition ancestrale africaine est ce que l’on appelle la «permaculture», une technique en vogue chez les agronomes modernes.
LDB. Comment relancer la production du cacao ?
GO. Des site comme Ekiembe au nord de Boundji, Irebou, ou les villages à l’ouest de Makoua sont adaptés pour lancer une production pilote d’excellence. La forêt y est protégée et les cacaoraies sont totalement couvertes de grands arbres. Des cabosses de la région peuvent y être amenés pour transformation, et des caisses de fermentation en bois rapidement installées pour assurer la fermentation et le séchage des fèves. Atout non négligeable, les routes de cette région permettent un acheminement rapide de la production vers le port de Pointe-Noire. Néanmoins, les producteurs potentiels ont besoin d’être formés à la culture, à la fermentation et au séchage du cacao.
LDB. Quel est l’intérêt de bénéficier de labels écologiques ?
GO. La cuvette dispose d’essences d’origine de qualité très recherchées dans le monde, comme le cacao Criollo, le plus rare au monde. Des trésors que recherchent les plus grands chocolatiers du monde qu’il importe de protéger. Cela est un bon point de départ pour développer la filière cacao. Ces plantations non cultivées depuis 30 ans peuvent briguer les plus hauts labels : bio, commerce équitable et Rainforest Alliance. C’est une manière de ne pas dépendre des aléas du marché des matières premières. Les variétés dont recèlent le pays sont susceptibles d’attirer les clients avec le plus haut niveau éthique. Contrairement notamment à la Côte d’ivoire dont les conditions d’exploitation ont été très critiquées ces dernières années. Ces clients pourront créer des partenariats pour notamment faire bénéficier à leurs fournisseurs de formations, de suivis, d’investissements en développement sociaux, en garantissant des achats réguliers payés souvent aux normes du commerce équitable mondial, voire au delà . Les cacaoraies de la Sangha se développent déjà sur le modèle ivoirien. Etant donné les aléas historiques de la production du cacao congolais, il serait pertinent de ne pas baser le futur de la filière sur ce modèle unique. La production devrait tenir compte de l’action que le pays en mène en faveur du climat. Propos recueillis par Dani Ndungidi